Transcription - Excuses aux Inuits pour la gestion de l’épidémie de tuberculose des années 1940 aux années 1960
Excuses aux Inuits pour la gestion de l’épidémie de tuberculose des années 1940 aux années 1960
Ullaakuut. Bonjour, tout le monde. C’est un plaisir d’être des vôtres aujourd’hui.
J’aimerais d’abord souligner que nous sommes dans l’Inuit Nunangat, le territoire inuit. J’aimerais aussi saluer le président de l’ITK, Natan Obed. Je suis heureux de vous revoir. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir avec nous des représentants de tout l’Inuit Nunangat : Aluki Kotierk, président de NTI, merci beaucoup pour tout; David Ningeongan, président de l’Association inuite du Kivalliq, merci d’être là David; P.J. Akeeagok, président de l’Association inuite du Qikiqtani; et Duane Smith, président de la Société régionale inuvialuite.
J’aimerais vous remercier d’être ici et souligner la présence de tous ceux et celles qui sont venus de loin. Comme Aluki le disait, c’est la météo qui décide, et nous en avons assurément eu la preuve hier. Mais c’était d’une très grande importance pour moi, et je pense pour tous les Canadiens, d’être ici aujourd’hui, que nous nous réunissions dans un moment de reconnaissance et, bien entendu, de réconciliation. Pour reconnaître le passé et les erreurs du passé, et promettre d’emprunter un bien meilleur chemin tous ensemble.
Je tiens aussi à saluer Andy Pirti, de la Makivik Corporation, et John Charles Lile, de l’Association inuite du Kitikmeot. Et merci également au premier ministre Savikataaq et à la mairesse Redfern de nous accueillir à Iqaluit, moi et deux ministres, les ministres Bennett et O’Regan. Prenons aussi un moment pour saluer les anciens qui sont des nôtres aujourd’hui. Merci d’être ici, merci d’avoir semé des graines qui portent leurs fruits, ce qui nous rappelle à quel point il est important d’écouter nos aînés, de respecter nos traditions, de nous souvenir du passé et de bâtir un avenir ensemble.
Mes amis, pour comprendre où nous sommes et où nous allons, il faut d’abord comprendre d’où nous venons.
Nous devons connaître notre histoire.
Nous devons confronter les dures vérités qui font partie de notre passé.
Parce que pendant trop longtemps, le gouvernement a appliqué un double standard dans sa relation avec les Inuits, les traitant de façon injuste et inéquitable.
Alors que le Canada œuvrait à adopter la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, il traitait les gens de l’Inuit Nunangat comme étant inférieurs, identifiant les Inuits par des chiffres plutôt que par leurs noms.
Alors qu’on félicitait les enfants du Sud de connaître leur alphabet, on punissait les enfants inuits lorsqu’ils parlaient leur propre langue.
Alors que le gouvernement mettait sur pied le système de soins de santé universel, il forçait les Inuits à s’établir dans des endroits où la maladie et les infections se propageaient.
Et il y a 70 ans, au moment où la tuberculose faisait rage à travers le Canada, le gouvernement a réagi de façon décisive dans le Sud en ouvrant de nouvelles cliniques et en formant des médecins et des infirmières. Mais dans le Nord, l’approche du gouvernement n’était pas de faire preuve de compassion ou d’empathie, mais plutôt de séparer les familles et de les priver de leurs droits.
C’était une approche colonialiste et malavisée. Elle a lésé et blessé les Inuits. Je sais que parmi ceux qui sont présents ce matin, bon nombre ont été touchés par cette politique injuste et pleurent encore la perte de leurs proches.
Je suis ici aujourd'hui pour présenter des excuses officielles pour la façon dont le gouvernement fédéral a géré la crise de la tuberculose dans l’Arctique des années 1940 jusqu'aux années 1960.
Beaucoup d’entre vous connaissent malheureusement les résultats de cette politique.
Les Inuits étaient soumis à un dépistage sans leur consentement. Tous ceux qu’on soupçonnait d’être atteints de tuberculose étaient envoyés dans des villes du Sud comme Hamilton et Edmonton pour être traités durant des mois ou des années dans des sanatoriums où presque personne ne parlait inuktitut.
Pendant longtemps, les gens ont été persuadés que s’ils montaient à bord de ces navires, ils risquaient de ne jamais rentrer chez eux.
Beaucoup de gens n’ont pas eu le temps de se préparer ou de dire au revoir à leurs proches. Beaucoup d’enfants ont été arrachés à leurs parents, beaucoup d’aînés ont été déracinés de leur foyer et de leur communauté.
C’était un voyage éprouvant, un trajet de milliers de kilomètres franchis par bateau, par train ou par avion – un voyage qui durait des jours ou même des semaines. Certains sont morts au cours du voyage.
Et souvent, des mères et des pères, des frères et des sœurs ont été laissés derrière sans savoir où leurs proches avaient été amenés, ni pour combien de temps. Lorsque quelqu’un mourait durant son traitement, on l’enterrait dans le Sud. Parfois sa tombe était identifiée et parfois sa famille en était avisée.
Lorsque les gens parvenaient à rentrer chez eux, ils étaient souvent ramenés dans leur communauté en plein hiver, sans vêtements chauds, et sans que leur famille en soit avertie.
Souvent, lorsque les enfants rentraient chez eux, ils retrouvaient une famille dont ils ne se souvenaient plus, une langue qu’ils ne connaissaient pas et un territoire dont ils n’avaient aucun souvenir.
Ces années-là ont été marquées par l’isolement, la confusion et la douleur.
Mais la gestion de la crise de la tuberculose par le gouvernement était plus qu’une simple politique malavisée. Elle représentait un exemple parmi tant d’autres de la dévastation causée par le colonialisme.
Une histoire que le poète Alootook Ipellie a décrit dans ces mots : « Je n’ai pas demandé qu’on me force à apprendre une culture étrangère dans une langue étrangère. »
Les enfants inuits envoyés dans les pensionnats et les foyers ont été forcés d’apprendre une langue étrangère. Ils ont été négligés et maltraités.
Tout comme dans le poème d’Ipellie, « le destin a suivi son cours, décidant pour moi d’où je viendrais et ce que je serais. » Mais ce n’était pas le destin qui décidait, c’était le gouvernement fédéral.
C’est le gouvernement fédéral qui a décidé que des familles – vos familles – seraient enlevées de leur territoire. C’est le gouvernement qui a décidé d’exploiter les Inuits afin d’affirmer la souveraineté du Canada dans l’Extrême-Arctique.
Je sais que des gens présents aujourd'hui, et d’autres à travers l’Inuit Nunangat, vivent encore avec les conséquences de ces politiques, de ces années où vos communautés et vos droits n’étaient pas respectés.
La réinstallation forcée des Inuits, les pensionnats, la politique du gouvernement concernant la tuberculose – tout ça est arrivé en même temps, aux mêmes personnes, à l’intérieur de quelques décennies. C’est arrivé à une époque où le gouvernement identifiait les Inuits par des chiffres sur des plaques d’identité, et où des familles ont vu des agents du gouvernement tuer des équipes entières de qimmit, de chiens de traîneau.
C’est un chapitre douloureux de l’histoire du Canada.
Et vous, dans cette salle et à travers le territoire, connaissez trop bien ses conséquences :
Un affaiblissement de la culture et de la langue.
Des familles séparées à jamais.
Des vies brisées qui ne seront jamais réparées.
Ce sont des torts que nous ne pourrons jamais effacer. Et le Canada doit porter cette culpabilité et cette honte.
Je suis ici aujourd’hui pour présenter des excuses. Des excuses officielles pour la gestion que le gouvernement fédéral a faite de l’épidémie de tuberculose des années 1940 aux années 1960.
Cette politique n’était pas accidentelle, mais bien intentionnelle.
Elle a été mise en œuvre même si le gouvernement du Canada connaissait les conséquences qu’elle avait sur les familles inuites.
Même si elle ne faisait pas passer les intérêts des communautés en premier.
À ceux qui ont été envoyés dans le Sud – nous sommes désolés. Nous sommes désolés de vous avoir forcés à quitter vos familles, de ne pas avoir fait preuve du respect et de l’empathie que vous méritiez. Nous sommes désolés pour votre douleur.
À ceux dont les proches ont été enlevés – nous sommes désolés. Nous sommes désolés d’avoir brisé ce qu’il y a de plus précieux – l’amour d’un foyer.
À ceux qui ne savent toujours pas ce qui est arrivé à leur enfant, à leur mère, à leur père – nous sommes désolés.
Aux communautés qui subissent les conséquences de cette politique et d’autres politiques mises en place – nous sommes désolés. Nous sommes désolés qu’à cause de nos erreurs, de nombreux Inuits n’ont aucune confiance à l'égard du système de santé et ne peuvent donc pas recevoir d’aide lorsqu’ils en ont besoin.
Nous sommes désolés de la mentalité colonialiste qui a guidé les gestes du gouvernement fédéral. Le gouvernement a présenté ses excuses aux anciens élèves des pensionnats et aux Inuits qui ont été forcés à quitter leur chez-soi. Mais le traumatisme, transmis de génération en génération, est encore présent et profond.
Nous savons maintenant que nous avons mal agi. Nous savons maintenant que nous devons travailler pour corriger ces erreurs.
Nous n’aurions pas dû attendre tant d’années pour présenter ces excuses. Nous sommes désolés que vous avez porté ce fardeau pendant trop longtemps. C’est parce que nous avons tardé que certaines personnes n’entendront jamais ces excuses, et nous en sommes désolés.
Aujourd'hui, nous assumons la responsabilité du tort causé par les politiques et les mesures du gouvernement fédéral. Le racisme et la discrimination dont les Inuits ont été victimes étaient, et seront toujours inacceptables.
Mais il ne suffit pas de se contenter de présenter des excuses. Nous devons également promettre de faire mieux.
Et même si, comme pays, nous ne pouvons pas changer ce qui a déjà été fait, nous pouvons choisir ce que nous ferons à l’avenir.
Aujourd'hui, nous choisissons de bâtir un avenir meilleur. Un avenir fondé sur le respect et le partenariat.
En tant que premier ministre, j’ai promis de renouveler la relation entre le gouvernement du Canada et les Inuits. De travailler ensemble pour se débarrasser des attitudes paternalistes et colonialistes qui ciblaient vos communautés. De poursuivre notre chemin sur la voie de la réconciliation.
Le chemin devant nous est long, mais nous ferons chaque pas ensemble.
Si nous ne corrigeons pas les erreurs du passé, nous ne pourrons pas aller de l’avant.
Aujourd'hui, le gouvernement fédéral lance officiellement l’initiative Nanilavut, une véritable collaboration avec des partenaires inuits. Nous accordons également un financement pour appuyer ces travaux.
En inuktitut, Nanilavut veut dire « Trouvons-les », et c’est l’objectif de ce projet : trouver les Inuits disparus durant l’épidémie de tuberculose et honorer leur mémoire, et aider ceux qu’ils ont laissés derrière eux à guérir et à tourner la page.
Je ne peux même pas imaginer ce qu’on peut ressentir lorsqu’on perd un proche et qu’on doit continuer sa vie sans jamais savoir ce qui s’est passé.
Dans le cadre de l’initiative, les gens auront accès à des renseignements concernant ce qui est arrivé aux membres de leurs familles. Nous accordons également des fonds aux quatre organisations régionales de revendication territoriale pour assumer les coûts de déplacement des familles qui ont découvert où leurs proches ont été enterrés.
Nous accordons également de l’argent pour faire graver les pierres tombales et pour créer des plaques commémoratives. Rien ne peut ramener la voix d’un parent ou l’étreinte d’un ami. Mais en connaissant l’endroit où leurs proches reposent, les gens peuvent faire un premier pas et rendre hommage à leur mémoire.
Parce que beaucoup trop souvent, les torts infligés aux Inuits ont été oubliés ou négligés. Nous devons faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais. C’est pourquoi nous accordons un soutien aux activités et aux cérémonies commémoratives communautaires, ainsi qu’aux campagnes de sensibilisation.
Si nous voulons avancer vers la réconciliation, nous devons tous confronter notre histoire en tant que pays.
Et tout comme nous devons tirer des leçons du passé, nous devons également regarder vers l’avant, vers un avenir meilleur – un avenir sans tuberculose.
La tuberculose est une maladie qu’on peut prévenir et guérir. Elle n’entraîne pas forcément le décès. Mais la tuberculose continue de nous enlever des enfants, des aînés et des dirigeants. Le taux d’incidence chez les Inuits de l’Inuit Nunangat est plus de 300 fois supérieur à ce qu’il est dans la population non autochtone du Canada. C’est inacceptable.
L’année dernière, le gouvernement du Canada et l’Inuit Tapiriit Kanatami se sont engagés à éliminer la tuberculose dans l’ensemble de l’Inuit Nunangat d’ici 2030, et à réduire d’au moins 50 % le nombre de cas de tuberculose active au cours des six prochaines années.
Mais éliminer cette maladie n’est pas simplement une question de vaccins ou de dépistage, même s’ils font certainement partie de l’équation.
Pour mettre fin à cette crise, nous devons reconnaître que des gens vivent, chaque jour, avec les conséquences du colonialisme. Si vous vous souvenez d’avoir été envoyé dans le Sud, c’est normal que vous vous méfiez de la façon dont le gouvernement pourrait vous administrer des traitements aujourd'hui.
Nous ne pouvons pas répéter les erreurs du passé. Nous ne pouvons pas imposer des solutions.
C’est pourquoi nous adoptons une nouvelle approche en suivant la voie que vous tracez.
Notre gouvernement investit dans votre plan, un plan dirigé par les Inuits, en investissant plus de 27 millions de dollars sur cinq ans pour éliminer la tuberculose dans l’Inuit Nunangat. Dans le cadre de cet investissement, nous aidons également le Nunavut, le Nunatsiavut, le Nunavik et la Région désignée des Inuvialuit à élaborer leurs propres plans d’action.
Et tout comme notre nouvelle approche s’appuie sur le partenariat, elle est fondée également sur la reconnaissance de ce qu’est la tuberculose : une maladie que la médecine ne peut pas guérir à elle seule.
Nous devons également travailler pour réduire la pauvreté, l’insécurité alimentaire et les problèmes de logement.
En plus de nous battre directement contre la tuberculose, nous investissons dans les services de base, notamment en accordant plus de 640 millions de dollars pour le logement dans l’Inuit Nunangat.
Cette stratégie sur le logement a été conçue par les Inuits en partenariat avec le gouvernement fédéral et sera également mise en œuvre par les Inuits. Nous sommes déterminés à ce que les solutions soient élaborées par les communautés et dirigées par les communautés, que ce soit dans le cadre de cet investissement, de l’initiative Nanilavut ou des travaux réalisés par le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne.
Bien entendu, même si nous réalisons des progrès, il nous reste encore beaucoup de chemin à faire.
C’est certain que les communautés sont confrontées à des défis réels.
Mais s’il y a une chose que je sais, c’est que les Inuits sont résilients.
Pour aller de l’avant, nous devons être prêts à admettre nos torts. Prêts à travailler concrètement pour corriger nos erreurs. C’est pourquoi je suis ici aujourd'hui.
Les excuses de ce matin représentent une promesse à votre égard.
La promesse de ne jamais oublier le tort qui a été infligé aux Inuits et à vos familles.
La promesse, au nom de tous les Canadiens, de bâtir un avenir meilleur. Et de le bâtir ensemble.
Qujannamiik.
Merci.