Transcription - Discours de collation des grades du PM Trudeau devant des diplômés de l’Université de New York
Discours de collation des grades du PM Trudeau devant des diplômés de l’Université de New York
Bonjour tout le monde, merci et félicitations!
Je suis très heureux d’être ici avec vous aujourd’hui; j’en suis profondément honoré. Merci de cette aimable présentation, Niobe. Andrew, c’est merveilleux de vous revoir. Je suis vraiment reconnaissant de l’honneur que vous et l’Université de New York m’avez accordé aujourd’hui. Vous savez, Andrew est un Canadien et un Britanno-Colombien honoraire parce que, comme moi, il a étudié à l’Université de la Colombie-Britannique à l’époque. Je suis fier que le Canada ait joué un rôle dans la formation d’Andrew, tout comme l’Université de New York a contribué à former tant de Canadiens formidables, dont deux membres de mon propre personnel.
On me dit que 180 membres de la promotion de 2018 de l’Université de New York sont Canadiens. Bonjour! Bienvenue, mes amis!
Je dois dire que le fait d’être ici, maintenant, en train de vous parler au Yankee Stadium – l’un des endroits les plus formidables de l’une des villes les plus formidables de la planète – m’inspire un grand sentiment d’humilité.
Mes amis, vous êtes maintenant diplômés de l’Université de New York; vous êtes les meilleurs et les plus brillants. Vous avez un potentiel et des possibilités immenses et, par conséquent, vous avez également d’énormes responsabilités. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de chacune de ces deux facettes et j’aimerais vous lancer un défi. Un défi qui, selon moi, est essentiel à votre future réussite comme êtres humains et comme les leaders que vous êtes en train de devenir.
De tout ce que j’admire au sujet de l’Université de New York, il y a le fait qu’environ le cinquième des étudiants vient de l’étranger.
Et que, dans une proportion semblable, ces gens sont les premiers de leur famille à fréquenter l’université.
Ce groupe est vraiment diversifié à tous les égards possibles, et je pense que c’est extraordinairement précieux et important. Après avoir obtenu mon diplôme au début des années 1990, je suis parti faire un voyage autour du monde avec quelques bons amis, qui sont d’ailleurs encore de bons amis aujourd’hui, ce qui relève un peu du miracle. Nous avons parcouru, la plupart du temps par voie terrestre, l’Europe, l’Afrique, puis l’Asie. Cela reste l’une des grandes expériences formatrices de ma vie. Ce fut une aventure merveilleuse.
Le voyage s’est aussi avéré essentiel à mon éducation au sens plus large du terme parce que j’ai dû pour la première fois en tant qu’adulte échanger et tisser des liens d’amitié avec des gens qui ne partageaient pas toujours mes opinions, mes expériences, mes idées, mes valeurs ou ma langue.
Lorsqu’un adolescent de Montréal rencontre un pêcheur coréen qui habite en Mauritanie, ou se lie d’amitié avec un vétéran russe de la guerre en Afghanistan, ou discute avec un commerçant et sa famille à Danang, il va certainement avoir des conversations intéressantes.
Certains d’entre vous ont peut-être parlé de faire un voyage de ce genre après l’obtention de leur diplôme. Et je serais prêt à parier que l’un des premiers commentaires qu’on vous a faits à cet égard était une mise en garde : « Tu ne peux pas faire cela de nos jours. C’est dangereux! » Cependant, je me pose une question : est-ce vraiment juste la sécurité physique qui rend nos proches si inquiets à l’idée de nous voir partir? Ou ne serait-ce pas plutôt le fait que, si nous regardons au-delà des cadres de nos propres vies, des valeurs structurées et des systèmes de croyances de nos propres communautés pour réellement entrer en contact avec des gens dont les croyances sont fondamentalement différentes des nôtres, nous risquons de nous transformer en une personne nouvelle et différente?
Il ne fait aucun doute que le monde d’aujourd’hui est plus complexe qu’il ne l’était au milieu des années 1990. Il existe des problèmes graves et importants avec lesquels nous sommes aux prises et auxquels nous continuerons de faire face. Mais nous ne parviendrons pas à établir un respect mutuel, qui constitue l’étape où il devient possible de résoudre des problèmes communs, en nous réfugiant dans une bulle idéologique, sociale ou intellectuelle.
On peut le voir tout autour de nous. Dans la culture d’aujourd’hui, on constate une fascination particulière à l’égard de la contre-utopie; on le voit à la télévision et dans les films.Mais, en contrepartie, nous avons la chance de vivre à une époque où il y a d’immenses possibilités, où l’élimination de l’extrême pauvreté, l’éradication de terribles maladies comme la tuberculose et le paludisme, et l’occasion d’offrir à tous l’accès à l’éducation sont à notre portée.
Cependant, si nous voulons continuer d’avancer, nous devons le faire ensemble. Tous ensemble. L’humanité doit combattre son esprit tribal. Nous fréquentons la même église? Parfait, vous faites partie de ma tribu. Vous parlez ma langue? Vous êtes dans ma tribu. Vous êtes un ancien de l’Université de New York? Vous êtes dans ma tribu. Vous jouez à Pokemon Go? Vous êtes végétariens? Vous aimez les Yankees? Vous fréquentez les champs de tir? Vous êtes pro-choix. Tribu.
Bien entendu, le problème n’est pas l’aspect du sentiment d’appartenance, mais plutôt le corollaire : vous êtes dans ma tribu, et pas eux. Qu’il s’agisse de la race, du sexe, de la langue, de l’orientation sexuelle, des origines religieuses ou ethniques ou de nos valeurs et croyances en soi, la diversité n’a pas à être une faiblesse. Elle peut constituer notre plus grande force!
Des gens parlent parfois de chercher à atteindre la tolérance. Bon, comprenez-moi bien : il existe certains endroits du monde où un peu plus de tolérance changerait bien des choses. Cependant, si nous voulons être francs ici, maintenant, je pense que nous devrions viser un peu plus haut. Pensez-y : en vérité, dire à quelqu’un : « Je te tolère » est un peu comme lui dire : « D’accord, j’admets à contrecœur que tu as le droit d’exister, mais ne viens pas m’énerver avec cela. Ni fréquenter ma sœur. »
Aucune religion du monde ne nous demande de « tolérer notre voisin ». Alors, tentons une approche qui ressemble davantage à l’acceptation, au respect, à l’amitié et, oui, même à l’amour.
Pourquoi est-ce important? Parce que, dans notre désir d’être utile; dans l’amour que nous avons pour nos familles; dans notre volonté de faire du monde un endroit meilleur, malgré nos différences, nous sommes tous pareils.
Lorsqu’on rencontre une personne d’une autre culture ou d’un autre pays, qui parle une langue différente ou qui prie un autre Dieu et qu’on se lie d’amitié avec elle, on s’en rend rapidement compte. Voilà mon principal message et le défi que je vous lance aujourd’hui : notre célébration de la différence doit également s’étendre aux différences de valeurs et de croyances. La diversité comprend la diversité politique et culturelle. Elle englobe la diversité de points de vue et d’approches en vue de résoudre les problèmes. Il est bien trop facile, à l’heure où les médias sociaux façonnent nos interactions, d’entrer en contact uniquement avec des gens avec qui nous sommes toujours d’accord. Des membres de notre tribu. Le monde est plus vaste que cela.
Alors, voici ma demande : au moment où vous quittez cet endroit, j’aimerais que vous vous fassiez un devoir de tendre la main à des gens qui ont des valeurs et des croyances différentes des vôtres.J’aimerais que vous les écoutiez, que vous les écoutiez vraiment, et que vous trouviez ce terrain d’entente. Vous avez un monde de possibilités à portée de main, mais, à partir de maintenant, comprenez bien qu’au détour du chemin, un apprentissage d’un tout autre ordre vous attend, où vos professeurs seront des gens de toutes les situations sociales, de tous les niveaux de scolarité, de tous les systèmes de croyances, de tous les styles de vie. J’espère que vous accepterez cela avec enthousiasme. Vous avez été des étudiants, vous continuerez d’apprendre durant toute votre vie, mais il est maintenant temps de devenir des leaders.
Chaque génération, des leaders émergent parce qu’ils en viennent à se rendre compte que la tâche de résoudre tel ou tel problème, ou de défendre telle ou telle cause n’incombe pas à quelqu’un d’autre, mais bien à eux. Votre moment est venu de montrer la voie à suivre.
Leader. Je suis sûr que c’est un mot que vous avez entendu un peu partout autour de vous et qu’on vous a dit au cours des dernières heures, des derniers jours, des dernières semaines et des dernières années. Leaders de demain. Leaders d’aujourd’hui. Mais qu’est-ce qu’il signifie? Quelles qualités un leader du 21e siècle doit-il posséder? De quoi les gens ont-ils le plus besoin de la part de leurs dirigeants aujourd’hui? Et demain? Eh bien, je crois qu’il faut être courageux. Très courageux. Je sais, quand on pense à des dirigeants courageux, on pense à ces gens qui sont restés implacablement et audacieusement ancrés dans ce qu’ils croyaient juste, prêts à défendre leurs idéaux envers et contre tous, sous les volées de pierres et de flèches lancées en leur direction. Eh bien, je ne crois pas que ce soit suffisamment courageux. Je ne crois pas que ce soit suffisant pour ce que l’avenir vous appellera à accomplir. En fait, je pense que ce ne l’a jamais été.
Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de Wilfrid Laurier, un jeune avocat prometteur de la fin du 19e siècle qui allait devenir mon deuxième premier ministre du Canada préféré. Il a grandi et a fait ses études en tant que fier Canadien français catholique et représentant exemplaire de l’une des deux identités s’étant unies, à peine quelques décennies auparavant, pour fonder le Canada. Les deux solitudes (l’autre étant formée des anglophones protestants et farouchement fidèles à la Couronne britannique) s’accommodaient l’une et l’autre, coopéraient et, dans l’ensemble, s’enduraient l’une et l’autre pour bâtir notre pays. Mais, elles ressentaient tout de même encore trop bien les divisions et les failles qui avaient été à l’origine de près d’un millénaire de tensions et de guerres entre Anglais et Français.
Wilfrid avait appris de ses enseignants et ses aînés qu’il devait se montrer inébranlable dans la défense des valeurs liées à son identité et à son patrimoine, dans la défense des croyances et des approches dont il avait hérité et qu’il léguerait à d’autres à son tour. Que cela, c’était du leadership. Mais Wilfrid en est venu à penser autrement. Il s’est rendu compte qu’en fait, il est facile de rester enraciné dans la conviction qu’on a raison, puis d’attendre que les autres fassent le premier pas ou d’attendre l’occasion d’imposer cette conviction aux autres. Il s’est rendu compte qu’il est plus difficile de trouver un compromis, de creuser profondément en soi‑même, dans ses idées et ses convictions, de manière honnête et rigoureuse, pour trouver ce qu’on peut donner et ce qu’il est nécessaire de garder, tout en s’ouvrant au point de vue de l’autre, en vue de chercher et de trouver ce terrain d’entente. Et cela reste l’héritage politique de Wilfrid Laurier, plus de 100 ans plus tard.
Se permettre d’être vulnérable face à un autre point de vue, voilà ce qui demande un véritable courage. S’ouvrir aux convictions d’un autre et risquer de se laisser convaincre, un peu ou beaucoup, par la validité de son point de vue, voilà ce qui peut faire peur. Découvrir qu’une personne avec qui vous êtes farouchement en désaccord peut avoir raison sur un point. Ou avoir raison sur toute la ligne. Mais cela ne devrait pas nous faire peur ou nous menacer. En particulier vous, qui avez travaillé si fort ces dernières années pour trouver la vérité, apprendre et vous épanouir. L’ouverture à l’autre a graduellement mené les Canadiens à comprendre que les différences peuvent et doivent être une force et non une faiblesse. Et je dis « graduellement », parce que l’histoire canadienne du 20e siècle est remplie de contre-exemples et de terribles échecs que nous essayons encore de réparer de nos jours, notamment la marginalisation et l’oppression systémiques des Autochtones.
Nous ne sommes pas parfaits, bien entendu, mais notre sens de l’ouverture, du respect des autres points de vue et de l’acceptation d’autrui est à la base de ce que nous faisons pour résoudre les grands problèmes de notre époque. Et ce n’est pas parce que nous sommes gentils (même si nous le sommes, bien sûr), mais bien parce que c’est en tenant compte de diverses perspectives que nous avons de meilleures chances de relever ces défis. Et c’est ce qui me ramène à vous et aux leaders que le monde a besoin que vous soyez. Le leadership a toujours eu comme objectif d’amener les gens à s’unir pour faire cause commune. Nous allons fonder un nouveau pays. Nous allons faire la guerre. Nous allons sur la Lune.Habituellement, il faut convaincre ou forcer un groupe en particulier à vous suivre, et la voie la plus rapide pour y arriver a toujours été d’évoquer des différences tribales : ils croient à un Dieu différent, ils parlent une langue différente, ils ne veulent pas ce que nous voulons. Mais aujourd’hui, nous avons surtout besoin d’un leadership rassembleur. Et ce sera pareil dans les années à venir.
Un leadership qui fait de la diversité une cause commune. Qui est l’antithèse de la polarisation, du nationalisme agressif et de la politique identitaire, qui sont de plus en plus courants dernièrement. C’est plus difficile, bien sûr. Il a toujours été plus facile de diviser que d’unir. Mais cela prend surtout un véritable courage, parce que si l’on veut amener des gens à penser comme soi, il faut d’abord leur montrer que l’on peut penser comme eux, que l’on est prêt à entamer une conversation qui pourrait nous faire changer d’avis. Si vous respectez leur point de vue, vous avez de meilleures chances qu’ils écoutent le vôtre. Et peu importe ce qui arrivera, vous aurez eu un véritable échange pour vous comprendre et non pas seulement pour remporter un débat ou gagner des points, et vous en ressortirez tous les deux gagnants.
Permettez-moi d’être très clair : il ne s’agit pas d’une approbation du relativisme moral ou d’une déclaration que tous les points de vue se valent. La mutilation génitale féminine est un mal, peu importe le nombre de générations depuis lesquelles elle est pratiquée.
Les changements climatiques d’origine humaine existent, peu importe à quel point certaines personnes veulent le nier.
Mais voici la question : voulez-vous gagner un débat et vous sentir satisfaits de votre supériorité ou voulez-vous changer des comportements et des croyances? Il a été souligné que l’une des nombreuses différences entre Abraham Lincoln et Jefferson Davis était que Davis préférait gagner des débats, alors que Lincoln aimait mieux gagner la guerre. Et c’est là toute la question : voulez-vous remporter un débat ou préférez-vous transformer le monde?
Sans haine contre personne, avec charité envers tous. Puissent les plus belles paroles du plus grand président de ce pays orienter vos ambitions et les espoirs que vous nourrissez à l’égard de vous-mêmes, de vos familles, de votre pays et de votre planète. Le cynisme et l’égoïsme ne manquent pas dans le monde. Soyez leur solution, leur antidote. Grâce à vous, je suis extrêmement optimiste face à l’avenir. Il vous incombe de le bâtir et de le façonner. Le monde attend avec impatience vos idées, et il en a besoin. Il a besoin de votre sens de l’initiative, de votre esprit d’entreprise, de votre énergie, de votre passion et de votre compassion, de votre idéalisme et de votre ambition, mais n’oubliez pas que le vrai courage est l’ingrédient essentiel à tous vos efforts.
Promotion de 2018, félicitations! Allez changer le monde!
Merci.