Transcription - Le premier ministre Trudeau prononce une allocution au gala IDENTITÉ 2018 d’Égale Canada
Le premier ministre Trudeau prononce une allocution au gala IDENTITÉ 2018 d’Égale Canada
Quand je repense à mon enfance, ayant eu comme père un premier ministre, il me revient quelques souvenirs. La plupart sont liés à notre quotidien, comme les promenades en voiture de la GRC ou les visites au travail de mon père. Mais je garde très peu de souvenirs de son œuvre, des événements et décisions évoqués dans les livres d’histoire. J’avais 13 ans quand il est parti. Quand on vit de grands moments, il est rare qu’on le comprenne sur le coup. C’est souvent le recul qui nous donne cette perspective, et la distance qui nous fait comprendre toute l’importance de la situation. Or, je me rappelle vivement d’un moment, d’un événement historique en particulier. C’était le 17 avril 1982. Il faisait gris, j’étais assis sur la Colline du Parlement enveloppée de bruine, et je regardais mon père et une gentille dame qui était la Reine d’Angleterre à la télé, mais la Reine du Canada quand elle nous rendait visite...
Je les regardais rapatrier la Constitution du Canada. À l’époque, je ne savais pas du tout ce qu’il en était. Je savais qu’il signait un document devant le public en compagnie de la Reine et que c’était un document important, mais ce n’est que plus tard que j’ai compris à quel point cet événement était important.
Ce jour-là, le Canada a fait un énorme pas en avant et est devenu un pays où les droits fondamentaux sont enchâssés dans la loi, un pays qui fait le serment de reconnaître toutes les personnes comme étant égales devant la loi. Je vous l’accorde, cette promesse n’a pas toujours été tenue parfaitement, mais, au fil du temps, nous avons appris à coexister de manière pacifique en suivant des principes de compassion, d’égalité et de dignité pour tous. Maintenant que j’ai beaucoup vieilli et que je suis dans la même position où mon père était il y a de nombreuses années, je repense souvent à cet après-midi. Je réfléchis à ce que mes enfants penseront de leur propre vie non conventionnelle avec un père premier ministre. Xavier, Ella-Grace et Hadrien, que retiendront-ils de cette époque effervescente?
Eh bien je pense, et j’espère, qu’ils se souviendront du 28 novembre 2017, tout comme moi je me souviens de ce jour d’avril 1982. C’est ce jour-là que je me suis levé au Parlement pour présenter aux communautés LGBTQ2 du Canada des excuses qu’elles attendaient depuis longtemps. Les témoignages évoqués dans ce discours sont bien connus d’un bon nombre d’entre vous, mais beaucoup d’autres personnes sont restées stupéfaites. Jeté en prison parce qu’on est gai? Pas au Canada. Perdre un emploi parce qu’on est trans? Jamais. Être rejeté et devenir la honte de tous en raison de notre identité bispirituelle. Pas question. Voir son orientation sexuelle révélée dans un journal local? Pas dans notre pays, une oasis d’acceptation et de progressisme. Et pourtant, cela s’est produit.
Il s’agit là d’un chapitre très sombre et très réel de l’histoire du Canada. J’ajouterais, et c’est troublant, de l’histoire récente du Canada.
Voilà le genre de discrimination que la communauté queer a subie durant des dizaines d’années. Par conséquent, ces excuses, et notre serment de ne jamais répéter les erreurs dévastatrices du passé, eh bien, nous savons que cela allait être un moment important pour de nombreuses personnes. Un moment de reconnaissance à la fois triste et joyeux. Un moment qui allait, nous l’espérions, marquer le début d’un long parcours vers la guérison. Et c’est pourquoi, en ce matin de novembre, j’ai décidé que mes enfants n’iraient pas à l’école ce jour-là. Ils allaient venir au travail avec leur père.
La décision de les voir à la Chambre des communes, assis dans la tribune, entourés de militants de longue date et me regardant pendant que des survivants pleurent ouvertement autour d’eux… elle n’était pas prévue. Mais, je me suis levé ce matin-là et je me suis dit soudainement : « aujourd’hui sera un grand jour, un très grand jour » et je veux qu’ils soient présents. Alors, ils sont venus. Et Ella et Xav ont regardé leur père, debout sur le parquet de la Chambre des communes, parmi ses collègues, promettre que nous, comme pays, allions faire mieux.
C’est une journée incroyable que je n’oublierai jamais. Et je crois qu’eux non plus ne l’oublieront pas. Je me sens vraiment privilégié d’avoir fait partie de ce grand moment. Je tiens à remercier les membres du réseau Nous exigeons des excuses, le Conseil consultatif sur les excuses à la communauté LGBTQ2 et le Just Society Committee d’Égale de nous avoir aidés à faire les choses correctement. Cependant, ceux qui méritent peut-être encore plus notre gratitude sont les militants de la base; les gens qui ont voué leur carrière et, dans de nombreux cas, leur vie à lutter pour la justice à l’égard des communautés LGBTQ2, au Canada et partout dans le monde.
Ces excuses, ainsi que les nombreuses importantes victoires remportées pour les droits des gais au cours des dernières décennies, n’auraient jamais eu lieu sans vos efforts et votre conviction.
Alors, je vous en remercie.
Mes chers amis, je partage cette histoire avec vous parce que j’espère que dans trente ans, lorsque mes enfants se rappelleront leur enfance, ce souvenir leur viendra en tête comme un exemple de ce qui justifiait les heures que leur père a passées loin d’eux. Les soirées où j’étais ici au lieu d’être à la maison en train de les mettre au lit. De la même façon dont je me souviens de mon père étant assis avec la Reine, j’ose espérer qu’ils se souviendront que ce jour de novembre a été un moment important pour tous les Canadiens.
Toutes les sociétés peuvent, et devraient, être jugées en fonction de la manière dont elles défendent les droits des minorités. La protection, le respect et le soutien à l’égard des Canadiens des communautés LGBTQ2 doivent être enchâssés dans la loi, non comme des droits conditionnels, mais plutôt comme des droits fondamentaux.
Comme Steve le sait bien, c’est un argument que je fais valoir constamment dans le cadre de sommets internationaux ainsi que lors de rencontres publiques et privées avec des dirigeants étrangers. Je l’admets, il m’arrive parfois de forcer la tenue d’une conversation qui rend des gens mal à l’aise. Mais savez‑vous quoi? Cela ne me dérange pas vraiment.
Parce que si des questions au sujet des droits des gais dans leur pays les rendent mal à l’aise, cela veut dire que leur travail à cet égard est insatisfaisant.
Cela veut dire qu’ils doivent faire mieux. L’été dernier, j’ai participé au défilé de la fierté d’Halifax pour la première fois.
C’était incroyable. Quand il fait beau à Halifax, il fait plus beau que partout ailleurs. À l’exception de Vancouver. Quand il fait soleil à Vancouver, c’est vraiment agréable. C’est la rareté qui fait la beauté de ces villes… Alors les rues débordaient d’amour, de rires, de joie et de fête. Et pendant que nous dansions dans la rue, quelqu’un s’est penché vers moi et m’a dit : « vous savez, cela n’a pas toujours été comme ça ». On m’a dit que lors de l’un des premiers défilés de la fierté d’Halifax, certaines personnes qui marchaient portaient des sacs sur la tête. Ils avaient besoin qu’on les voie, avaient désespérément besoin qu’on les compte, mais ils n’étaient pas encore prêts à ce qu’on les nomme.
Nous avons fait beaucoup de chemin dans ce pays, et nous devrions être fiers de ce que nous avons accompli jusqu’à présent. Grâce à plusieurs d’entre vous qui êtes ici ce soir, nous avons réalisé des progrès importants. Nous avons enfin modifié notre loi sur les droits de la personne afin de protéger les Canadiens transgenres contre toute discrimination. Nous avons lancé la stratégie du Canada pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe, et nous allons radier les casiers judiciaires des personnes reconnues coupables d’infraction liée à l’homosexualité.
Il s’agit là de grands et d’importants pas vers l’avant, et je remercie chacun de vous du travail que vous avez accompli pour nous permettre d’en arriver jusqu’ici. Et pourtant, comme Hélène a dit, nous ne pouvons pas nous arrêter ici.
L’itinérance chez les jeunes de la communauté queer, l’insuffisance du soutien offert aux personnes intersexuelles, la violence à laquelle la communauté trans est exposée de façon disproportionnée, la discrimination liée aux dons de sang et d’organes… oui, nous y travaillons, et je suis aussi contrarié que vous que ce ne soit pas encore réglé... et la marginalisation intersectionnelle des personnes queer de couleur; voilà les prochaines frontières de ce mouvement. Et je veux réaliser des progrès tangibles et durables dans ces dossiers en travaillant avec vous. En m’appuyant sur votre leadership et votre savoir‑faire, et en générant des changements qui auront une incidence sur un si grand nombre de personnes. Mes amis, il y a de nombreuses incertitudes dans la vie, mais sachez ceci : je suis de votre côté. Je me battrai pour vous et avec vous.
Notre gouvernement au complet est déterminé à obtenir la pleine égalité pour la communauté queer. Je vous en donne ma parole. Je veux que mes enfants grandissent dans un monde où les différences des gens sont célébrées et accueillies à bras ouverts et, pour dire bien franchement, où il est difficile d’imaginer que ce n’était pas le cas auparavant. Je veux qu’ils grandissent dans un monde où les aspirations professionnelles ne sont pas entravées par l’identité ou l’expression sexuelles, où les familles sont diversifiées et variées, et où elles n’en sont que plus belles.
En effet, c’est ce que je veux pour nous tous. Plus. Plus d’acceptation, plus d’inclusion et plus d’amour.
Et nous y parviendrons grâce à vous tous.
… et grâce à nous tous.
Merci beaucoup mes chers amis. Merci.