Le traitement des enfants dans les pensionnats indiens marque une page sombre et honteuse de l’histoire de notre pays. En reconnaissant le passé et en sensibilisant les Canadiens à l’expérience vécue par les enfants autochtones dans ces écoles, nous nous assurons que cette page d’histoire ne sera jamais oubliée.
Au début du XXe siècle, la Moravian Mission et l’International Grenfell Association, en collaboration avec la province de Terre-Neuve-et-Labrador, ont mis sur pied des écoles et des pensionnats pour les enfants autochtones. Leur objectif énoncé était d’éduquer les enfants des nations innues, inuites et nunatukavut en provenance des collectivités de Black Tickle, Cartwright, Davis Inlet, Goose Bay, Hebron, Hopedale, Makkovik, Nain, Natuashish, Northwest River, Nutak, Postville, Rigolet, Sheshatshiu et d’autres régions de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous savons toutefois que l’expérience vécue par les enfants autochtones dans ces pensionnats les a isolés de leur collectivité, de leur famille, de leurs traditions et de leur culture. Ces pensionnats ont été exploités avec le soutien du Canada de 1949 à 1980, année de la fermeture de la dernière école.
Afin de faire progresser la réconciliation, il est important de comprendre l’histoire des pensionnats puisque la pensée coloniale à l’origine de ces pensionnats a aidé à façonner et à influencer la façon dont le Canada a été fondé. Cette compréhension est importante puisque c’est ici, alors qu’ils fréquentaient ces pensionnats, que bon nombre d’anciens élèves ont été soumis à une négligence cruelle et que certains ont été victimes de sévices physiques et sexuels. Bon nombre d’entre eux ont vécu un profond vide en raison de la perte de leur langue et de leurs pratiques culturelles. Certains n’étaient pas nourris, habillés ou logés convenablement. Tous ces enfants ont été privés de l’amour et des soins de leurs parents, de leur famille et de leur collectivité.
Les enfants de retour à la maison après avoir vécu différents traumatismes dans les pensionnats ont cherché du réconfort auprès de leur famille et de leur collectivité, mais ont, dans bien des cas, découvert que leurs propres pratiques, cultures et traditions avaient été remplacées en raison de l’influence coloniale. C’est dans ce climat que certaines personnes ont vécu des problèmes personnels et familiaux, ceux-ci ont laissé un lourd et complexe héritage de tristesse, de pauvreté, de violence familiale, de toxicomanie, de familles et de collectivités éclatées ainsi que des troubles de santé physique et mentale. Malheureusement, bon nombre de ces conséquences intergénérationnelles continuent de toucher les Autochtones aujourd’hui.
Le 28 septembre 2016, la Supreme Court of Newfoundland and Labrador a approuvé un règlement négocié par différentes parties afin d’offrir une indemnité à ceux et celles qui ont fréquenté les pensionnats et qui pourraient avoir été victimes de sévices. Le règlement prévoit également des dispositions pour la tenue de différentes activités de guérison et de commémoration proposées par d’anciens élèves. Ce règlement a été rendu possible grâce à la force et au courage exceptionnels dont ont fait preuve les représentants des demandeurs et les autres anciens élèves afin de parler de leur expérience. Malheureusement, il nous est impossible de réunir tout le monde ici aujourd’hui puisque certains sont décédés sans avoir l’occasion d’entendre ces excuses. Nous rendons hommage à leur esprit et honorons leur mémoire.
Nous savons que l’exclusion de Terre-Neuve-et-Labrador des excuses présentées en 2008 par le Canada aux anciens élèves des pensionnats indiens, tout comme l’absence de toute autre excuse reconnaissant votre vécu, a constitué un obstacle au processus de guérison et de réconciliation. Nous reconnaissons la douleur et la souffrance qui vous ont été causées et pouvons garantir aux anciens élèves qu’ils n’ont pas été oubliés.
Aujourd’hui, je me présente humblement devant vous, à titre de premier ministre du Canada, pour offrir au nom du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens, des excuses attendues depuis longtemps aux anciens élèves des cinq pensionnats indiens de Terre-Neuve-et-Labrador. Je présente également mes excuses aux familles, aux proches et aux collectivités qui ont été touchés par le douloureux, et parfois tragique, héritage qu’ont laissé ces pensionnats.
Sachez tous et toutes que nous sommes sincèrement désolés – pijâgingilagut – apu ushtutatat.
Nous disons aux survivants qui ont vécu cette indignité liée aux sévices, à la négligence, aux privations et à la discrimination qu’ont exercés les personnes, les institutions et le système auxquels ils avaient été confiés que nous sommes profondément désolés de tout ce que vous avez subi.
Nous sommes désolés de l’incompréhension à l’égard des sociétés et des cultures autochtones ayant mené à l’arrachement des enfants autochtones de leur maison, famille et collectivité pour être placés dans ces pensionnats. Nous sommes désolés de la croyance erronée selon laquelle les enfants autochtones ne pouvaient recevoir des soins et une éducation adéquats que s’ils étaient séparés de l’influence de leur famille, de leurs traditions et de leur culture. Il s’agit d’une période honteuse de l’histoire du Canada, qui découle d’un héritage colonialiste. Une époque pendant laquelle les Autochtones ont été traités de façon inégale et avec un profond manque de respect. Une époque où notre pays sous-estimait les cultures et les traditions autochtones et où l’on croyait, à tort, que les langues, les croyances spirituelles et le mode de vie des Autochtones étaient inférieurs et sans importance.
Exprimer nos excuses aujourd’hui n’est pas suffisant. Cela ne fera pas disparaître la souffrance que vous avez éprouvée. Cela ne ramènera pas les langues et les traditions que vous avez perdues. Cela ne dissipera pas les sentiments d’isolement et de vulnérabilité que vous avez ressentis lors de la séparation de votre famille, de vos collectivités et de vos cultures. Cela n’effacera pas, non plus, les difficultés que vous avez dû surmonter au cours des années qui ont suivi votre fréquentation des pensionnats, alors que vous tentiez de vous remettre de votre expérience dans ces pensionnats et à aller de l’avant avec votre vie.
Je tiens aujourd’hui à vous dire que ce qui s’est produit dans ces cinq pensionnats, la Lockwood School de Cartwright, la Makkovik Boarding School, la Nain Boarding School, la St. Anthony Orphanage and Boarding School et la Yale School de Northwest River, ne constitue plus un fardeau que vous avez à assumer seul. J’espère que vous pourrez dès aujourd’hui entamer votre guérison et offrir, enfin, un certain répit à l’enfant qui sommeille en vous. Nous partageons avec vous une partie de ce fardeau en acceptant pleinement nos responsabilités, et nos échecs, en tant que gouvernement et pays.
Tous les Canadiens peuvent tirer des leçons du passé et façonner l’avenir. Il s’agit du chemin vers la réconciliation. C’est également la façon de rétablir la relation entre les Autochtones et Non-Autochtones au Canada. Les excuses d’aujourd’hui s’inscrivent dans le cadre d’une nouvelle approche historique en matière de réconciliation entre les peuples autochtones et le Canada. Cette année, alors que le 150e anniversaire de la Confédération du Canada nous amène à poser un regard sur le passé, nous avons la possibilité de faire une pause pour réfléchir à l’avenir que nous voulons façonner, ensemble, au cours des prochaines décennies et des prochains siècles.
Nous avons l’occasion de renouveler notre relation en la basant sur la reconnaissance de vos droits, le respect, la collaboration, les partenariats et la confiance. Le règlement des pensionnats indiens de Terre-Neuve-et-Labrador est un exemple concret de réconciliation et marque le début d’une nouvelle relation axée sur la guérison et la commémoration.
Nous sommes conscients que, pour certains d’entre vous, la réconciliation entre le gouvernement du Canada et les peuples autochtones peut représenter un processus difficile, lequel ne se fait pas du jour au lendemain. J’espère toutefois qu’en présentant ces excuses aujourd’hui, en reconnaissant le passé et en vous demandant pardon, nous pourrons continuer à travailler ensemble à cette tâche de réconciliation et de guérison en tant que pays.
Les anciens élèves, les familles et les collectivités qui ont été touchés par les pensionnats indiens de Terre-Neuve-et-Labrador continuent de faire preuve d’un courage exceptionnel devant l’adversité. Dans le cadre de vos actions quotidiennes, votre résilience et votre persévérance sont sans équivoque. Raconter le récit de ces pensionnats nous permettra de ne jamais oublier le passé. Les Canadiens ont tant à apprendre de ces récits et nous espérons pouvoir entendre vos expériences, racontées dans vos propres mots, alors que se poursuivra le processus de guérison et de commémoration.
Même s’il ne faut pas oublier l’histoire de ces pensionnats, nous ne devons pas leur permettre de définir l’avenir. Nous demandons à tous les Canadiens de prendre part au prochain chapitre de notre histoire, une période au cours de laquelle les Autochtones et les Non-Autochtones bâtiront ensemble l’avenir auquel ils aspirent.
Le 24 novembre 2017
Au nom du gouvernement du Canada
le très honorable Justin Trudeau,
premier ministre du Canada